Quelques jours plus tard, après que le projet de Constitution a été rendu public et qu’il a été constaté que le texte ne mentionnait pas de religion nationale, quelques centaines de moines bouddhistes sont à nouveau descendus dans la rue. Le 25 avril, des bonzes ont fait défiler neuf éléphants dans les rues de Bangkok, avant d’organiser un sit-in devant le Parlement. «Nous n’avons qu’une exigence: qu’il y ait une clause déclarant que ‘le bouddhisme est la religion nationale de la Thaïlande’», a déclaré à l’Agence France-Presse Tongkhao Phuangrodpang, coordinateur de quelque trois cents groupes bouddhistes.
Le débat sur la place du bouddhisme dans les institutions, dans un pays où les bouddhistes représentent près de 95% de la population, est ancien. En 1997, dans les mois qui avaient précédé la rédaction de l’actuelle Constitution, une campagne visant à faire du bouddhisme la religion nationale avait échoué, ses opposants faisant valoir qu’un tel changement risquait de nuire à l’unité de la nation. Depuis la reprise des violences, en 2004, dans le sud à majorité musulmane du pays (2), le débat a ressurgi et un groupe de nationalistes bouddhistes fait signer des pétitions pour réclamer que la future Constitution comporte une clause faisant du bouddhisme la religion nationale. A défaut, il fait valoir que ses partisans pourraient voter contre le texte lors du référendum prévu pour le mois de septembre prochain.
Ce que demandent précisément les groupes bouddhistes est que l’article 2 de la Constitution («La Thaïlande a un régime de gouvernement avec le roi pour chef de l’Etat») devienne: «La Thaïlande a un régime de gouvernement avec le roi pour chef de l’Etat et le bouddhisme comme religion nationale». A l’appui de leur revendication, ils ne mentionnent pas les violences du sud, mais mettent en avant le fait que l’inscription du bouddhisme dans la Constitution obligera l’Etat à mieux préserver les lieux historiques du bouddhisme dans le pays (stupa, temples anciens, etc.)
Au début du mois d’avril, un éditorialiste du Bangkok Post, Sanitsuda Ekachai, soulignait le fait que «cette campagne nationale en faveur de la religion (bouddhiste) s’inscrit dans un contexte caractérisé par une forte paranoïa au sein du clergé (bouddhique) dirigée contre l’islam du fait des violences dans le sud». Des distributions de tracts expliquant que l’islam est une menace pour le bouddhisme thaïlandais ont eu lieu, expliquait encore l’éditorialiste, mais les Thaïlandais ne doivent pas s’y laisser prendre. Les extrémistes des deux bords tentent de faire valoir leur point de vue. D’un côté, les extrémistes musulmans voudraient faire croire qu’il existe une guerre de religion menée contre la minorité musulmane du sud, opprimée par la majorité bouddhiste. De l’autre, les extrémistes bouddhistes mettent en avant les assassinats de moines bouddhistes dans le sud pour expliquer que leur religion est menacée.
Toujours dans le Bangkok Post, on pouvait lire que «de telles craintes ne sont pas dénuées de fondement, mais pour autant elles ne justifient pas que le bouddhisme soit consacré religion officielle par la Constitution. Les bouddhistes nationalistes sont sans doute animés des meilleures intentions, mais ils devraient tenir compte des susceptibilités des adeptes d’autres confessions, en particulier des musulmans. D’autant que dans le sud, où les violences paraissent sans fin, le fossé d’incompréhension entre musulmans et bouddhistes se creuse toujours davantage, si bien que toute tentative d’officialisation du bouddhisme pourrait être facilement exploitée par les extrémistes. Dans d’autres régions, les musulmans modérés, qui sont aussi patriotes que leurs concitoyens bouddhistes, pourraient se sentir rejetés par un tel texte, au point de se demander s’ils sont encore des citoyens thaïlandais à part entière» (cité dans Courrier International, n° 858, 12 avril 2007).
De son côté, la junte qui a pris le pouvoir le 19 septembre dernier – et a suspendu «la charte du peuple» de 1997 – n’exclut pas d’inscrire une telle clause dans le projet de Constitution. Le 25 avril, le Premier ministre Surayud Chulanont a indiqué que le gouvernement était prêt à examiner la requête des moines. «Il y a de la marge pour une discussion», a-t-il dit. Par ailleurs, le chef du Conseil national pour la sécurité, dénomination de la junte au pouvoir, le général Sonthi Boonyaratklin, de confession musulmane, a déclaré: «Si une clause à cet effet favorise la paix dans le pays, il est mieux de l’inclure», ajoutant qu’il «cro[yait]» que le «Comité de rédaction de la Constitution [allait] revoir sa décision (de ne pas inclure cette clause) sur le sujet». Il a également suggéré que la future Constitution contienne une clause qui stipulerait que le gouvernement thaïlandais doit prendre en compte les autres religions, notamment le christianisme et l’islam.
Le projet définitif du texte constitutionnel est annoncé pour le mois de juillet prochain.
Notes
(1) L’expression thaïlandaise employée peut se traduire par «religion nationale» ou «religion officielle», plutôt que par «religion d’Etat». Praphutasasana pen sasana prajam chart nai wai lang rattamanoon se traduit, mot à mot, par: «Le bouddhisme est la religion habituellement pratiquée dans la nation, (ce qui est inscrit) dans la Constitution.»
2) Plus de 2 000 personnes ont trouvé la mort depuis 2004 dans les trois provinces du sud du pays, situées le long de la frontière avec la Malaisie. Les attaques et les attentats ont visé aussi bien des mosquées que des pagodes, des musulmans que des bouddhistes.
Cet article a été publié dans le N° 462 (daté du 1er mai 2007) d’Eglises d’Asie, Agence d’Information des Missions Etrangères de Paris (128 rue du Bac, 75341 Paris Cedex 07).
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